"Guy Brunet habite Viviez, dans l'Aveyron. Pas vraiment le paradis sur terre, ni son enfer. Juste un endroit perdu, loin. Ce qui tombe bien : la peinture de Guy Brunet est, elle aussi, lointaine. Elle appartient aux années 50. Ses couleurs rêvent de splendeur d'Hollywood. Une peinture qui bat des paupières pour Rita, Ava, Michelle, Martine. Et serre la mâchoire pour prendre une pose Humphrey ou une pose Gary. Ou John, ou Jean...
Dernières séances. Guy Brunet, né en 1945, est pour toujours l'enfant du Caméo, le cinéma qu'exploitaient ses parents vers Decazeville, en plein pays minier. Le Caméo a tiré le rideau en 1963, pionnier à sa façon d'une interminable série de dernières séances. Les goûts de Guy Brunet se sont arrêtés à sa fermeture : du cinéma d'aujourd'hui, il ne retient que le sang, la violence, le sexe. C'est peu dire qu'il lui fait horreur. Sur une des rares photos où il pose, dans l'encoignure de la porte de son atelier aveyronnais, Guy Brunet porte une paire de moonboots et un pull à rayures. Il est sans âge. Il se tient presque trop droit, un bras dans le dos. Derrière lui, les sept nains de Disney repeints sur du polystyrène prédécoupé.
Silhouettes peintes. Brunet aime les acteurs, ce sont ses poupées. On parle de l'existence, au premier étage de sa maison, d'une centaine de silhouettes peintes. Tout le gratin de Hollywood est là : vamps, acteurs, producteurs. Par prudence, il tient à ce qu'hommes et femmes vivent dans des chambres séparées. Ces silhouettes peintes, on ne les voit pas dans l'exposition que lui consacre, à Paris, la pop galerie Art's Factory . Guy Brunet refuse de s'en séparer. Ce qu'on voit, par contre, c'est la partie immergée de l'oeuvre: affiches peintes, reprenant les grands titres de l'histoire du cinéma : Gilda, le Train sifflera trois fois, Autant en emporte le vent, Cléopâtre, le Troisième Homme, Planète interdite...
Sorties de leur musée imaginaire, souvent dépliées en dix, ces affiches portent des marques de faux plis. On croirait qu'elles ont servi. Elles ne sont que le résultat d'une cinéphilie poussée jusque dans son dernier retranchement. Brunet ne décalque pas des affiches déjà existantes, il rend justice. L'affiche est le moment d'une lecture quasi critique : il y place le nom d'un scénariste, d'un musicien négligé des dictionnaires ou de la mémoire collective, remet au premier plan un acteur de second rôle. Au centre de sa vision du Train sifflera trois fois, un cadran d'horloge, plus important encore que le visage de Glenn Ford. Le personnage principal du film, c'est la montre. Si son affiche de l'Homme qui n'a jamais existé (un autoportrait ?), passée sous un drôle d'enduit vert, frôle l'abstraction, c'est pour rappeler aux oublieux que le personnage qu'incarnait Clifton Webb aux côtés de Gloria Grahame vivait dans la vase.
Maniaquerie. Le «Brunerama» est un art de la couleur brillante, soit tout le criard de la glycéro de salle de bains au service d'un déni de vieillesse : l'enfance éternelle ne se vit que dans l'éclat. Si, tels qu'il les redessine, les acteurs restent reconnaissables, le trait de Brunet est loin de tout réalisme : c'est l'hésitation d'un dessin d'enfant. Sa naïveté, sa maladresse, ses perspectives boiteuses, disent la cinéphilie aggravée, ce sacerdoce, cet enfermement fétichiste, cette maniaquerie maladive.
L'horizon ultime (et atteint) de Guy Brunet, c'est de ne plus peindre in fine que les logos des firmes : celui de la MGM, d'Universal, de la Fox. C'est le dernier des mistons, ceux qui, dans Mes Petites Amoureuses, le film de Jean Eustache, s'arrêtaient devant les affiches Rex Cinéma en disant: «On n'entre pas, ils sont cons, les films Paramount !» Soit un art de vivre son cinéma complètement disparu."